Tendances Économiques et Espoir pour le Climat

2 Février 2015 Energy

Schumpeter a évoqué la destruction créatrice en parlant de l'innovation dans l'économie. À propos de changement socio-économique le suivant est attribué à Nicolas Klein (et souvent à Gandhi aussi) : Au départ on vous ignore, ensuite on se moque de vous, ensuite on vous combat et ensuite vous gagnez. Le lien entre l'observation empirique de Klein et la notion de changement de Schumpeter est dans la constatation que ceux qui vont être détruits par des révolutions technologiques se battent par tous le moyens possibles pour éviter de l'être. Parmi ces moyens il y a la mise en place d'un marketing (propagande), l'achat de l'influence des médias, des partenaires commerciaux, des politiciens, des chercheurs. On peut remarquer que les premiers stades décrit par Klein et/ou Gandhi concernent le marketing. Quand on arrive à l'achat de l'influence, le stade du combat a commencé.

Prédiction : en 2100, la production énergétique de l'OCDE sera entièrement de source renouvelable et inférieure à la production de 2010. Voici pourquoi :

1. C'est possible.
2. Il y a une forte demande pour les énergies renouvelables par une grande partie de la population.
3. Les taux d'intérêts des marchés monétaires vont rester bas, ce qui favorise les énergie renouvelables.
4. Les tendances de changement de prix relatifs des combustibles fossiles par rapport aux énergies renouvelables observées ces 15 dernières années vont se poursuivre.
5. L'intermittence des énergies renouvelables n'est pas un grand problème. Il existe des moyens de stockage d'électricité efficaces, c'est leur mise en oeuvre qui tarde.
6. Le changement est déjà en cours.

Pour montrer qu'une telle transformation est possible, prenons l'exemple de la ville de Güssing en Autriche qui affiche une population de 4000 personnes. En 1990, cette ville dortoir de Vienne était en perte de vitesse. Pour revitaliser l'économie locale, les dirigeants de la ville ont décidé de passer entièrement aux énergies renouvelables pour le chauffage et la production électrique. Ils y sont parvenus en 2002, y compris pour la revitalisation de l'économie locale en créant un savoir-faire qu'aujourd'hui ils exportent dans le monde entier. On remarque qu'en 1990, le prix des combustibles fossiles était sensiblement plus bas qu'aujourd'hui. Güssing n'a pas signé d'accord pour réduire ses émissions de gaz à effet de serre, Güssing n'a pas instauré de taxe carbone, Güssing ne s'est pas inquiété de ce qu'allaient faire les autres pays. Güssing a tout simplement fait le changement énergétique. Il est important de préciser que la première étape dans leur transformation était de réduire la demande énergétique de la ville de moitié.

Pour illustrer l'intérêt des gens pour les énergies renouvelables, prenons un canular récent des Yes Men, (operation second thanks). En s'infiltrant dans un dîner de la « Homeland Security » pour des hommes d'affaires, ils annoncent que le gouvernement américain va changer complètement de politique énergétique, que les subventions aux combustibles fossiles seront remplacées par des subventions aux particuliers, et au profit des énergies renouvelables. À leur surprise le message passe très bien et beaucoup d'hommes d'affaires viennent ensuite apporter leur soutien au projet (les Yes Men en concluent que la démocratie aux USA ne fonctionne plus). En Europe ce sont le nombre croissant de villes en transition qui illustre cet intérêt.

Les énergies renouvelables, et en général les investissements pour une transition énergétique se caractérisent par des investissements importants au départ, et un coût marginal de fonctionnement faible. Au contraire, les investissements dans l'économie des combustibles fossiles se caractérisent par des investissement plus faibles au départ et un coût de fonctionnement important par la suite. Des taux forts favorisent donc l'économie des combustibles fossiles, car on peut utiliser les intérêts pour acheter des combustibles fossiles. Il est probable que les taux vont rester faibles pour une période assez longue car il y a tellement d'investissements faits actuellement qui ne rapporteront pas beaucoup, voire qui ne vont pas rapporter du tout, comme par exemple la production du pétrole par la fracturation hydraulique (« le fracking »).  

En parlant des cycles économiques, on utilise le vocabulaire de Turchin et Nefedov [12] (voir aussi [9]) : il y a une phase de croissance, suivie d'une phase de stagflation et ensuite une phase de contraction. Pendant la période de stagflation, un bien essentiel devient moins abordable par : la hausse du prix, la baisse des salaires et l'augmentation du chômage.

Entre 1997 et 2005, le prix du pétrole a doublé (d'une valeur proche de son prix moyen du vingtième siècle) et la production a augmenté de 14%. Entre 2005 et 2013, le prix a encore doublé, mais la production n'a augmenté que de 3%. On pourra donc placer le début de la stagflation du pétrole en 2005. Cette augmentation de prix à été prévue par Campbell et Laherrère en 1998 [2]. Dans cet article ils ont estimé (correctement) que le pic de la production de pétrole conventionnel aurait lieu en 2005-2006. Le coût de production du pétrole non conventionnel est bien plus haut que celle du pétrole conventionnel d'où la fin du pétrole pas cher. L'école de Campbell et Laherrère est devenue ASPO. ASPO a donné naissance à Uppsala Global Energy Systems (UGES), le seul organisme indépendant estimant la production énergétique mondiale. UGES a estimé que le cycle économique du pétrole entrerait en contraction entre 2010 et 2014. Ils estiment que le cycle économique du gaz aura environ 10 ans de retard par rapport au cycle économique du pétrole. Le cycle économique du charbon devrait avoir 10 à 15 ans de retard par rapport au cycle économique du gaz [1]. En d'autres termes, si leurs prévisions sont bonnes, on peut s'attendre à ce que les combustibles fossiles deviennent de moins en moins abordables dans les 20 ans à venir.

Qu'en est-il des prévisions de UGES ? Il est important de préciser que la hausse remarquable de production de ce qu'on appelle « Light Tight Oil » (LTO), par la fracturation hydraulique n'a pas été prévue par UGES. Il est encore plus important de préciser qu'ils étaient au courant de l'existence du LTO, mais ils croyaient qu'on l'exploiterait plus tard, donc cette production ne change pas leur estimation de réserves ultimes récupérables (« Ultimate Recoverable Reserves » = URR), mais pourrait changer légèrement la date du début de la contraction de production. Un retard de cette date résultera en une contraction de production plus rapide (la courbe ou la falaise de Sénèque). En 2013, le LTO représentait environ 3,5 % de la production mondiale du pétrole, donc sans cette production, la production mondiale du pétrole en 2013 était inférieure à la production en 2005. Puisque cette production n'a pas été prévue par UGES, leur prévisions sont cohérentes avec les données de production.

Que sait-on de la production de LTO ?

  1. Elle a connu une croissance exceptionnelle depuis 2008, augmentant la production des États Unis (troisième producteur du pétrole mondial) de plus de 50%.

  2. La fracturation hydraulique n'est pas une technologie nouvelle, on sait l'utiliser depuis 25 ans. C'est une technologie chère et son essor est dû à la hausse du prix du pétrole.

  3. La vitesse de déclin est énorme par rapport aux autres moyens de production. Un puits est bouché après environ 25 ans d'activité, cependant la moitié de la production totale du puits a lieu pendant les deux premières années d'exploitation.

  4. La réglementation de la « securities and exchange commission » (SEC) encourage l'exploitation des puits, même non rentables.

  5. L'industrie se finance par des obligations classées « junk ».

  6. L'industrie n'a jamais gagné de l'argent par sa production. Le passif de ces sociétés croît aussi vite que leur production.

  7. L'industrie produit quasiment sans contrôle. Les politiciens qui devraient la contrôler sont soit bien payés par l'industrie soit actionnaires.

  8. L'industrie produit une pollution considérable de l'air mais aussi une pollution sonore et visuelle. Des produits très toxiques sont injectés dans le sol. L'emission collatérale (considérable) de gaz est brûlée 24 heures sur 24 le prix du marché du gaz étant inférieur au prix de capture et transport de ce gaz.

  9. Le LTO est très inflammable et corrosif rendant son transport cher et délicat. Les raffineries aux États Unis sont proche de la saturation en ce qui concerne le traitement de ce type de pétrole.

  10. Le LTO est un phénomène de courte durée. L'EIA qui surestime régulièrement la production de pétrole estime la stagflation pour le LTO aux États Unis en 1920 et le début de la contraction vers 2025.

Les critiques de la fracturation hydraulique, courantes depuis plusieurs années dans la presse alternatives, [3] sont maintenant arrivées dans la presse mainstream [11]. Rune Likvern a fait plusieurs études sérieuses sur la rentabilité de cette technologie [6]. Ceux qui soutiennent la production du LTO se base sur les travaux très critiqués de Leonardo Maugeri [7].

La production du LTO ressemble beaucoup à une bulle financière. On verra comment l'industrie gère la baisse récente du prix du pétrole - s'il y des faillites, la production du LTO risque de baisser rapidement ce qui signalera le retour de la volatilité du prix du pétrole.

Par contre, dans le domaine des énergies renouvelables, la tendance des prix est à la baisse. L'exemple le plus spectaculaire est celui du photovoltaïque qui a chuté d'environ 65 % en 6 ans et semble continuer à descendre. Selon leIEA [4] le soleil pourrait répondre à 27 % des besoins en électricité à l'horizon 2050. Des initiatives prises par des gouvernements pour soutenir des énergies renouvelables ont souvent eu trop de succès car les baisses de prix n'avaient pas été prévues.

Une technologie avec un grand potentiel théorique est l'énergie éolienne aérienne. Une fois développée elle a des chances d'être moins chère, de produire d'avantage d'énergie de manière plus régulière et en respectant d'avantage la vie des autres espèces (en altitude le vent est plus fort et plus régulier), par rapport à l'éolien terrestre. De plus l'énergie éolienne aérienne devrait être esthétique, discret et sans nuisance sonore. Pourtant, cette technologie ne bénéficie d'aucun soutien gouvernemental.

Toulouse pourrait jouer un rôle phare dans le développement de l'énergie éolienne aérienne. Si les prévisions de UGES sont justes, on produira moins de carburant d'avion. Ceci risquera entrainer une diminution des commandes d'avions. Alors Toulouse se trouverait avec trop d'ingénieurs aéronautiques. Pour l'énergie éolienne aérienne la grande difficulté est d'apprendre à des ordinateurs à piloter des planeurs ou cerfs-volants, une technologie déjà au point pour les avions. Avec ses compétences en aéronautique, informatique et son vent d'autan, Toulouse est bien placé pour entreprendre ce projet.

Il est très probable que bien avant la fin du siècle, les énergies renouvelables soient moins chères que les combustibles fossiles et que ceux qui les maîtrisent aient une économie plus dynamique que ceux qui ne les maîtrisent pas. La ville de Güssing est en avance, et vit très bien avec ce choix.

Sur le plan du stockage d'électricité aussi, des progrès ont été faits. Stocker chimiquement donne toujours la meilleure densité énergétique, mais le coût par cycle (de charge, décharge) est élevé. Parmi les technologies qui offrent un faible coût par cycle on retient :

  • Pomper de l'eau. Efficace à 70% mais nécessite beaucoup d'espace.

  • Les volants d'inertie. Aujourd'hui on les fabrique en fibre de carbone, tournant sous vide avec des roulements à billes magnétiques. D'une grande efficacité jusqu'à 97% selon le temps du cycle. Une technologie très souple d'utilisation mais nécessitant un investissement de départ assez lourd.

  • Stockage par pompe à chaleur (pumped heat electrical storage). Une idée récente tellement évidente que l'on se demande comment on n'y a pas pensé plus tôt. On sait, depuis longtemps, stocker l'électricité en comprimant un gaz. Il s'agit d'une technique inefficace à cause des pertes thermiques énormes. La nouvelle idée est d'isoler ce système pour éviter les pertes thermiques. Le principe est tellement simple qu'avec 2 bouteilles de gaz, de l'argon, un compresseur, une turbine à gaz, du gravier et de l'isolation, une personne qui sait souder peut fabriquer sa propre batterie. D'ici 5 ans il y aura des modes d'emploi sur Internet.

D'autres informations se trouve à l'energy storage association qui prévoit une croissance importante de la technologie de stockage.

Pourquoi entend-on partout que l'intermittence est un tel problème ? L'hypothèse le plus probable est que la possibilité de stockage des énergies renouvelables dérange. Les énergies renouvelables sont gênantes car le prix de gros de l'électricité est calculé sur le prix marginal de production. Le prix marginal de production des énergies renouvelables est proche de zéro. Plus le pourcentage de l'énergie renouvelable augmente, moins les producteurs d'électricité gagnent. Par conséquent, on ne construit de grandes centrales électriques que si l'on garantit le prix d'achat de la production, ce qui favorise les sources renouvelables. Par contre, le renouvelable fait monter le prix au détail car la distribution de l'énergie renouvelable complique les ajustements de l'offre et de la demande. Ceux qui profiteraient le plus du stockage de l'électricité sont aussi ceux qui ont le plus à craindre de cette technologie. Si la production de renouvelable plus le stockage d'électricité deviennent moins chers que le prix au détail, les gens et/ou collectivités vont se retirer du réseau et produire leur propre électricité comme Güssing ! Bon pour le climat et les emplois locaux mais catastrophique pour le système actuel de distribution d'électricité.

Pour démontrer que le processus de changement a commencé, il suffit de constater qu'on est passé au stade du combat par rapport aux énergies renouvelables. Par exemple, dans beaucoup de villes, aux États Unis, les panneaux photovoltaïques sont interdits [8] ainsi que dans tout l'état d'Hawaï [10]. En Espagne, le stockage de l'énergie par des particuliers est interdit.

Le GIEC utilise les prévisions de l'IEA plutôt que celles de UGES alors que l'on sait que l'IEA cède aux pressions et revoit ses chiffres à la baisse régulièrement. C'est une erreur. Le GIEC devrait dire aux gens que s'ils veulent de l'énergie et une économie dynamique à la fin du siècle, ils devraient aujourd'hui même, mettre en oeuvre des énergies renouvelables. On démarrerait ainsi la course aux énergies propres plutôt que des négociations difficiles. Le pic de production de pétrole est un problème de prix bas, pas un problème de prix haut. Les 5 pétroliers majeurs ont eu leur bénéfices maximaux en 2007. Selon Steven Kopits [5] les coûts de production augmentent de 11 % par an depuis 2002.

Annexe

Quelques problèmes économiques qui m'intéressent :

Problème 1 
Modéliser le prix historique du pétrole.

Application : estimer la production du pétrole. L'EIA a récemment estimer la production aux États Unis jusqu'à 2035. Entre leur estimation basse et haute, il y a un facteur de deux. La différence dépend de l'investissement qui dépend du prix.

Problème 2 
Concevoir des réglementations permettant que les collectivités en France puissent suivre le chemin de Güssing dans les meilleures conditions pour toutes les entreprises concernées.Problème 3 
Modéliser la diffusion de nouvelles technologies dans l'économie en tenant compte des stades décrits par Gandhi ( [$ p(t,x)$]  laplacien ?).

Application : estimer la vitesse de changement dans l'économie.

Bibliographie

1
Kjell Aleklett. 
Peeking at Peak Oil. 
Springer, 2012.2
Collin Campbell and Jean Laherrère. 
The end of cheap oil. 
Scientific American, 1998.3
Richard Heinberg. 
Snake Oil: How Fracking's False Promise Imperils Our Future. 
Post Carbon Institute, 2013.4
IEA. 
Technology roadmap solar photovoltaic energy. 
Technical report, International Energy Agency, 2014.5
Steven Kopits. 
Oil and economic growth a supply constrained view. 
presentation Columbia University, 2014.6
Rune Likvern. 
Fractional flow.7
Leonardo Maugeri. 
Oil: the next revolution. 
Technical report, Harvard Kennedy School Belfer Center, 2012.8
Ellen Piligian. 
America's energy madness we're banning solar panels, but many towns can't regulate fracking. 
Alternet, 2014. 
9
Ian Schindler. 
General economic production functions, prices, and cost share: Theory and applications. 
10
Fereidoon Sioshansi. 
Don't like solar pv? Ban new installations. 
Renew Economy11
Deborah Sontag. 
Where oil and politics mix. 
New York Times, 11 2014. 
.12
Peter Turchin and Sergey Nefedov. 
Secular Cycles. 
Princton University Press, 2009.

 

Remerciements

Merci à toutes les personnes qui ont aidé avec la rédaction en français.