L’Union européenne vit son crépuscule

7 Juillet 2016

Le Brexit n'en finit pas d'interloquer. Dans la presse de qualité, il est convenu d'y voir la réaction conjointe de classes populaires désinformées par les populistes et de vieilles générations déconnectées du réel. Cette analyse est erronée. Le résultat du référendum anglais est dans la lignée d'une longue série de consultations populaires sur l'Europe. Il y a bien un problème avec Bruxelles et le projet européen tel qu'il a été conçu dans les années 1950.

Premier exercice de lucidité : accepter de voir que l'UE ne sera pas le vecteur de l'union politique européenne. L'élargissement a détruit, au début des années 2000, tout espoir sérieux de consolidation politique. L'Union à 28 constitue un périmètre de nations trop hétérogènes pour se mettre d'accord sur autre chose que la taille des pommeaux de douche ou les tarifs de téléphone mobile.

Indispensable décentralisation

Deuxième malentendu à dissiper : la centralisation est aujourd'hui le défaut de conception majeur dans l'architecture européenne et non sa force. A l'époque des grands blocs, des empires et des entreprises géantes, la centralisation était gage d'efficacité. Mais la technologie a changé la donne. Le grand argument des architectes de l'Europe en faveur d'un processus centralisé est l'importance d'éliminer les coûts de transaction induits par la coexistence de monnaies, de normes et de régulations différentes.

L'idée était d'éliminer ces « frictions » en centralisant la production de normes et en diminuant l'autonomie locale. Cette démarche reste parfois efficace (standards technologiques par exemple), mais, avec la baisse des coûts de traitement et de stockage de l'information, elle est devenue largement obsolète. La numérisation de l'administratif rend par exemple négligeable le coût d'obtention d'un visa. L'évolution des systèmes de paiement rend l'usage de devises étrangères simple et peu coûteux.

Grâce aux progrès de leurs systèmes d'information, les entreprises peuvent gérer de plus en plus facilement les différences de normes entre pays. En politique comme dans les entreprises, le numérique est une force centripète qui pousse à décentraliser et à s'adapter aux logiques locales. Il faut donc cantonner l'Union européenne aux quelques sujets où la centralisation reste vraiment optimale et cesser d'avoir peur d'une Europe à la carte, qui laisse plus de place aux relations bilatérales en profondeur.
Des clubs dans une grande Europe

Le rapprochement entre nations européennes va continuer mais s'exprimera dans le périmètre de petits clubs plus homogènes, voire en bilatéral. Prenons l'exemple de la libre circulation des personnes à l'intérieur d'un groupe de pays. Celle-ci ne peut fonctionner que si les frontières communes sont bien gardées. Or cela impliquerait que chaque pays mette ses douaniers dans le pot commun de la douane collective et accepte de perdre le contrôle de ses propres frontières.

Cela ne se fera pas dans un espace où les pays divergent trop dans leurs intérêts stratégiques. Il en va de même pour l'Europe sociale et la création d'un vrai budget fédéral : elles se heurtent de plein fouet à la diversité des pays. C'est un fait qu'on peut déplorer, mais les contribuables s'avèrent plus réticents à transférer leurs revenus à des gens qui ne leur ressemblent pas. Dans un contexte de transition où les perdants de la mondialisation négocient l'indemnisation de leurs pertes, les systèmes de transferts sociaux sont condamnés à rester très majoritairement nationaux, au moins pour quelques décennies.

Il est temps d'en prendre acte au lieu d'incriminer l'ignorance, le populisme ou la crise : les institutions de Bruxelles ont échoué dans leur tentative de « nation building ». Un peu comme l'armée américaine en Irak, le projet européen s'est heurté à la réticence de peuples trop divers pour faire nation. Il faut apprendre à recommencer modestement, par des relations approfondies en bilatéral ou en club restreint (défense, université, mise en commun des douanes, etc.). La tentative de centralisation à marche forcée de 27 nations (sans le Royaume-Uni désormais) ne présente plus de gains économiques suffisants pour compenser l'irritation qu'elle suscite.

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