L'insertion des énergies renouvelables intermittentes

4 Avril 2017 Energie

L'augmentation de la production d'électricité issue de sources renouvelables intermittentes pose un double problème aux gestionnaires des centrales programmables: de volume, car il faut à chaque instant disposer des capacités de production pour satisfaire la demande non servie par les éoliennes et les panneaux photovoltaïques, de flexibilité, car ces appels de demande résiduelle peuvent varier fortement sur des périodes de temps très courtes. Dans ce billet, nous laissons de côté l'énergie éolienne pour mettre l'accent sur l'alternance entre les cycles diurne et nocturne de la production électrique d'origine photovoltaïque.

S'il vous plaît... dessine-moi un canard !

Que les politiques publiques de soutien aux énergies renouvelables créent des contraintes très fortes pour l'ensemble de l'industrie électrique n'est pas une découverte récente. Les besoins résultants en technologies de production complémentaire, flexibilité de la demande, échanges extérieurs et stockage, les nécessaires adaptations techniques et économiques des réseaux de transport et distribution ont été signalés à de nombreuses reprises. Mais pour que le message passe dans le public et chez les responsables politiques, il manquait un outil de communication. Le "canard photovoltaïque californien" que nous présentons maintenant va peut-être jouer ce rôle.

Voici la recette dudit canard, concoctée par le gestionnaire du système électrique californien (CAISO) dont l'équivalent en France est RTE:

  • Choisir une journée très ensoleillée.
  • Télécharger chez son fournisseur habituel les données relatives à ladite journée en ce qui concerne i) la consommation d'électricité et ii) la production réalisée par les panneaux photovoltaïques.
  • Pour chaque heure (ou demi-heure) retrancher la production photovoltaïque de la consommation. On obtient ainsi la "consommation résiduelle", celle qu'il faut satisfaire avec la production des autres centrales, notamment nucléaire, thermique et hydroélectrique de retenue.
  • Reproduire l'opération pour plusieurs années successives.
  • Servir sur un graphique dans lequel on fera figurer les heures de la journée sur l'axe horizontal et les MW appelés sur l'axe vertical. Décorer à son goût. Suggestion: tronquer l'axe vertical et ajouter quelques prévisions optimistes jusqu'en 2020-2025 pour accroitre le plaisir des yeux.

Le graphique qui suit donne une image fidèle du plantureux palmipède prêt à être servi.

source: https://www.caiso.com/Documents/FlexibleResourcesHelpRenewables_FastFacts.pdf

 

Cette recette a été reprise, après adjonction de quelques condiments et épices, par des économistes (C. Wolfram, M. Fowlie) et dans la presse (The Economist). Le CAISO en a fait un symbole pour demander que la flexibilité soit partie intégrante de la définition de l'adéquation des ressources énergétiques. On peut donc supposer que l'adjectif "typique" qui figure dans le titre du graphique est quelque peu exagéré. La journée n'a probablement pas été choisie tout à fait au hasard. Il n’en demeure pas moins que le graphique transmet un message visuel très clair de ce que tout le monde sait déjà : on a besoin de moins en moins de centrales de production programmables en milieu de journée car l'énergie solaire prend leur place, et de plus en plus en fin de journée quand le soleil se couche.

French cancan

Nous nous sommes livrés au même exercice pour la France en nous adressant à notre fournisseur habituel, RTE-éco2mix, qui propose des produits frais de grande qualité (rayon "Téléchargement de données"). Nous avons opté pour le début du mois de juillet et calculé les moyennes de triplets mardi-mercredi-jeudi (pour éviter l'hétérogénéité des weekends) en piochant soit dans la première, soit dans la deuxième semaine du mois (pour éviter une trop grande proximité avec le 14 juillet). Le résultat est présenté dans le graphique ci-après.

 

Il faut bien reconnaitre que le canard français mitonné dans notre gargote n'est qu'une pâle copie de son cousin américain, d'autant que nous n'avons pas ajouté de bardes abdominales prévisionnelles pour accentuer l'effet visuel. Le résultat est plus proche du chameau famélique, voire du boa surpris en pleine digestion, que du colvert. Peut-être un effet de la grippe aviaire. Mais on voit quand même s'esquisser les deux problèmes évoqués par le gestionnaire du système électrique californien: i) l'animal a tendance à prendre du ventre et ii) il se hausse du col.

Soupe au canard

L'atterrissage du canard photovoltaïque (sans parler de son alter ego éolien, beaucoup plus erratique) provoque de sévères perturbations dans la basse-cour électrique. Son cou altier montre que le soleil californien se couche au moment même où les consommateurs rentrant chez eux mettent sous tension tous leurs équipements domestiques, notamment leurs climatiseurs et, pour ceux qui en possèdent, mettent en charge leur voiture électrique. Faire monter en puissance la production non-photovoltaïque sur un espace de temps très court nécessite la maintenance opérationnelle d'une capacité de production hautement flexible.

Le second souci est la dilatation abdominale du volatile. Elle suppose une capacité des centrales traditionnelles à réduire leur production, mais ces centrales ont des seuils minima de fonctionnement. Qu’on les ferme, diront les ultras des renouvelables ! Mais on en a besoin en soirée. Alors, faut-il envisager de refuser les injections trop importantes d’énergie solaire dans le réseau, investir massivement dans le stockage pour réduire le recours aux centrales programmables en fin de journée, importer/exporter est-ouest pour jouer sur les différences d’heure de coucher du soleil ou réduire la consommation de fin de journée en envoyant des signaux de prix élevés aux consommateurs ?

Pan sur le bec!

La solution passe bien sûr par une combinaison de ces différentes possibilités. Dans la masse de documents publiés par la Commission européenne en novembre 2016 sous le titre « Une énergie propre pour tous les Européens », toutes ces pistes sont évoquées. Nous retiendrons ici simplement que, lorsqu’ils appellent les installations de production d’électricité, les gestionnaires de réseau de transport ne seraient plus tenus de donner la priorité aux installations de production utilisant des sources d’énergie renouvelables, à l'exception des petites installations (art. 11-1 de la proposition de règlement sur le marché intérieur de l'électricité). D'autre part, les textes ne prévoient pas de règle spécifique quant au mécanisme de soutien aux renouvelables mais leurs ressources financières devraient principalement venir du marché de l’électricité. En France, la Loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte a mis en œuvre le complément de rémunération, qui se substitue partiellement à l’obligation d’achat. Un complément fixe aurait mis les producteurs utilisant des ressources renouvelables en contact avec les signaux de prix. En fait le complément défini par le décret n° 2016-682 est variable pour combler l'écart entre le prix de marché et un prix cible fixé par filière. Les producteurs ont donc une garantie de rémunération, ce qui laisse augurer que le canard électrique va prendre de l'embonpoint.