Des taxes contre l’obésité ?

20 Avril 2015

Depuis plusieurs années, les campagnes d’affi chage, les spots de publicité, les informations nutritionnelles se sont multipliées. Les Français par exemple, savent qu’il faut consommer cinq fruits et légumes par jour, manger mais aussi bouger, et même que les produits laitiers sont leurs amis pour la vie. Mais rien n’y fait ! L’obésité continue lentement à progresser.

Face à ce qui est en train de devenir le 1er problème de santé publique dans le monde, le législateur a décidé d’utiliser la manière forte : depuis janvier 2012 il a taxé l’ensemble des boissons sucrées, même celles comportant des édulcorants. La bonne idée que l’on attendait ? Pas sûr ! Une très sérieuse étude française met à mal les idées reçues. Deux chercheurs de TSE, Céline Bonnet, chargée de recherche à l’INRA et Vincent Réquillart, directeur de recherche à l’INRA et membre de l’Institut d’Économie Industrielle ont cherché à évaluer l’impact des taxes nutritionnelles.

Quelle place occupent les taxes nutritionnelles parmi les différents leviers d’action ?

Une place encore peu utilisée mais qui pourrait faire partie des instruments d’intervention pour orienter les choix alimentaires - agir sur les prix pour influer sur les choix des consommateurs est une méthode éprouvée. La plupart des politiques nutritionnelles en place s’appuient sur l’information mais leur impact est faible. Il est possible aussi d’agir sur l’offre en incitant l’industrie agro-alimentaire à reformuler des produits meilleurs pour la santé, moins sucrés, moins salés, moins gras. Mais c’est une démarche de longue haleine, forcément complexe. Parce que les prix constituent un levier d’action important, ce sujet mobilise un courant de recherche international. Plusieurs pays ont mis en pratique des taxes nutritionnelles, souvent sur les boissons sucrées. Ce sont des politiques récentes, nous ne disposons donc pas d’évaluation après coup pour en mesurer l’impact. Nous sommes obligés de recourir à la modélisation pour évaluer l’impact potentiel de ces politiques. Nous avons simulé d’une part les conséquences d’une taxe sur les seules boissons sucrées et d’autre part les conséquences de la taxe mise en œuvre en France qui porte sur les boissons sucrées et les boissons aux édulcorants.

En quoi consiste l’originalité de ce travail ?

À prendre en compte la réaction des industriels et de la distribution dans leur choix de tarification. La plupart des travaux supposent que la taxe est répercutée sur le prix payé par le consommateur. Il n’y a aucune raison que cela se passe ainsi ! Les firmes ne sont pas passives, elles développent des stratégies. Elles peuvent augmenter les prix d’un montant supérieur à celui de la taxe ou au contraire diminuer leurs marges pour conserver leur activité. C’est ce que nous avons montré. Lorsqu’on applique une taxe d’accise - x centimes par litre - elle est plus que répercutée sur le prix au consommateur. Si la taxe est de 10 centimes par litre et que le prix du litre de boisson est de 1 euro, le prix final au litre ne passe pas de 1 € à 1,10 € mais à 1,12 € ou 1,15 €. Alors que si la taxe est fixée en pourcentage, elle est sous-répercutée au consommateur. Dans le même temps, on observe des substitutions à l’intérieur d’une même famille de boissons, ou des reports de consommation, des boissons taxées vers d’autres boissons.

In fine la taxe nutritionnelle contribue-telle à diminuer la consommation de sucre ?

Oui lorsque la taxe est appliquée uniquement aux boissons sucrées, la consommation de sucres ajoutés diminue de 440 g/an grâce à une substitution entre versions sucrées et versions allégées des mêmes types de produits. Ce n’est pas négligeable mais cela reste faible par rapport aux enjeux de santé. En effet, la consommation de boissons sucrées est peu élevée en France (ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays, les Britanniques en consommant deux fois et demie plus que les Français et les Américains cinq fois plus). Lorsque la taxe concerne l’ensemble des boissons (comme c’est le cas en France), la substitution vers les boissons allégées (dont le prix augmente également) ne s’opère plus. La consommation de sucres totaux augmente étant donné les reports de consommation vers les jus de fruits. Taxer l’ensemble des boissons, que celles-ci soient sucrées ou allégés, va donc à l’encontre des recommandations de santé. En pratique, la taxe mise en place n’atteint donc pas un objectif de réduction de la consommation de sucres. Elle est donc plutôt un instrument pour accroître les recettes budgétaires de l’État.

Si on prend un autre exemple, celui du tabac, l’augmentation des prix a bien eu l’effet dissuasif escompté ?

C’est une question de timing ! Dans le cas du tabac, il y a eu une conjonction d’actions qui visaient le même objectif : des campagnes d’information, l’interdiction de fumer dans les lieux publics, une politique tarifaire et surtout des mesures inscrites dans la durée. Avec aussi des niveaux de taxe bien plus élevés que dans l’alimentation. Si on cherche l’efficacité en termes de santé l’idée importante à retenir c’est cette conjonction de leviers qui poussent dans le même sens.

Rendre les produits sains plus accessibles, n’est-ce pas une solution envisageable ?

C’est ce qui a été fait dans le cas de l’automobile avec le système de bonus-malus. Mais l’effet attendu se fera sentir à plus long terme. Dans le cas de l’alimentation, il est plus compliqué de déterminer ce qui est bon ou mauvais pour les consommateurs. Par ailleurs, les habitudes alimentaires n’évoluent que lentement. D’une manière générale, induire des changements entre catégories de produits - par exemple réduire sa consommation de produits gras pour manger des légumes - est très difficile même si le bénéfice pour la santé est grand ! Agir au sein d’une même catégorie est plus facile, par exemple consommer une boisson moins sucrée en remplacement d’une boisson très sucrée. Si les gains individuels sont a priori plus limités, une plus grande partie de la population est concernée, donc en termes de santé publique cela peut avoir un effet intéressant. C’est un argument important. Je penche donc pour cette stratégie qui remet beaucoup moins en cause les habitudes alimentaires et qui pourrait aussi inciter les firmes à reformuler leurs produits.

Paradoxalement, les politiques les moins contraignantes peuvent rencontrer le plus de succès ?

Pas toujours ! Une démarche menée au Royaume Uni, sur l’évolution de la teneur en sel, a abouti à un accord volontaire de reformulation des produits alimentaires. Mais avec une contrainte forte qui consistait à menacer les industriels de normes strictes si la composition des aliments n’évoluait pas… Succès assuré ! Cela dit, pour ce qui concerne l’obésité, malgré toutes les mesures mises en place, le phénomène n’a pas été enrayé. Les pouvoirs publics continuent donc à chercher des leviers efficaces et les débats sur les politiques de taxation sont loin d’être terminés.

Quel autre aspect mérite d’être exploré ?

Nous allons continuer à nous intéresser à cette notion de reformulation. En étendant nos travaux dans une nouvelle direction : la prise en compte des effets environnementaux. Car s’il y a des modifications dans les choix alimentaires, il n’y a pas seulement des effets observés sur la santé mais aussi sur l’environnement. Il faut savoir que la chaîne alimentaire est responsable de 20 à 25 % des émissions de gaz à effet de serre. Les recommandations qui portent sur le régime alimentaire auraient-elles un impact positif ou négatif sur l’environnement ? Inversement les politiques guidées par des préoccupations environnementales auraient-elles un effet sur la santé ? Cela revient à éclairer la notion d’alimentation durable.