Très haut débit : des objectifs trop ambitieux

26 Octobre 2017 Economie numérique

L'objectif d'égalité d'accès à la fibre risque de se révéler très coûteux et contre-productif. Il vaudrait sans doute mieux couvrir à moyen terme une partie significative du territoire via des technologies alternatives telles que le hertzien.

Plusieurs milliards de subventions publiques ont été annoncées en 2013 pour permettre à tous d'accéder à l'Internet « très haut débit », via le déploiement sur l'ensemble du territoire d'un réseau de fibre optique de bout en bout offrant des débits supérieurs à 30 Mbit par seconde. L'objectif pour 2022 était de couvrir 80 % du pays.
Dans les zones d'initiative publique, jugées en 2011 insuffisamment rentables par les acteurs privés, les collectivités territoriales ont pris le relais pour y déployer avec le soutien de l'Etat un réseau mutualisé. Certaines d'entre elles ont adopté une démarche ambitieuse et volontariste, avec 97 % de taux de couverture en fibre sur l'ensemble de leur territoire en 2025.

Consentement à payer

Comment savoir si de tels objectifs sont pertinents et ne constituent pas un gaspillage de l'argent public ? La loi du 31 décembre 2012 répond à cette préoccupation en exigeant au préalable l'évaluation socio-économique de tels projets. Cela suppose de vérifier que les coûts engagés seront inférieurs aux bénéfices induits pour la collectivité.
Ceux-ci sont de deux ordres : bénéfice individuel pour l'usager (gain de temps, accès à des services gratuits, à la télévision haute définition) et effets « externes » sur l'ensemble de l'économie. Il s'agit notamment de gains de productivité dans les entreprises, du développement du télétravail, de la télémédecine ou de l'e-administration. Les travaux académiques sur ces questions restent rares, mais permettent d'apporter quelques éléments de réponse.

Selon une étude récente des économistes Aviv Nevo, John L. Turner et Jonathan W. Williams, les bénéfices pour l'usager de l'accès à Internet haut débit excèdent nettement ce qui lui est facturé en moyenne par les opérateurs. Les auteurs exploitent pour cela les données d'un fournisseur d'accès américain sur la période 2011-2012 pour en déduire la valeur maximale qu'est prêt à payer l'usager pour des débits plus élevés.

Le « consentement à payer » serait de l'ordre de 100 à 200 dollars par mois, bien au-dessus des tarifs pratiqués. En conséquence, sans intervention publique, le déploiement du réseau sera trop lent et sous-optimal au regard de ce qu'il apporte à la collectivité. D'autres travaux plus anciens indiquent par ailleurs que les externalités induites seraient également très importantes - couvrir une partie significative du territoire en « haut débit » pourrait rehausser à terme le PIB de 3 %, selon une étude datant de 2011.

Cela justifie le soutien public, mais pas les objectifs affichés d'une couverture quasi complète en fibre optique. Il est possible d'inférer des chiffres précédents une valeur socio-économique du raccordement d'un usager supplémentaire - la valeur se situerait entre 1.000 et 2.000 dollars par ligne.


La France en retard

L'analyse des données disponibles sur les réseaux publics en cours de déploiement montre par ailleurs que le coût d'investissement par ligne reste proche ou en deçà du haut de cette fourchette lorsque l'on se contente de couvrir 80 % du territoire. En revanche, aller au-delà pour atteindre un taux de couverture de 97 % conduirait à investir dans des lignes dont le coût est trois à quatre fois supérieur.
Autrement dit, il vaudrait sans doute mieux couvrir à moyen terme une partie significative du territoire via des technologies alternatives telles que le hertzien (4G fixe) nettement moins cher mais offrant un débit légèrement moindre. Ce point est d'autant plus important qu'une démarche trop volontariste sur la fibre optique risque de créer un goulot d'étranglement induisant une hausse des coûts et des délais supplémentaires.

La France est déjà très en retard par rapport à ses voisins européens qui ont su adopter des technologies transitoires sur le réseau téléphonique (VDSL) ou le câble, et souffrirait d'une « fracture numérique » selon « UFC Que Choisir » - près d'un demi-million de personnes n'aurait pas accès aujourd'hui à internet dans leur commune. S'arc-bouter sur un objectif d'égalité d'accès à la fibre risque de se révéler très coûteux et contre-productif.
 

Article publié dans les Echos. © LES ECHOS