Retraites ou climat, chiffrer les enjeux permet de faire des choix de consensus

31 Janvier 2023 Climat

Après moi, le déluge! Cette maxime attribuée à Madame de Pompadour fait aujourd'hui florès. Pour les retraites comme pour le climat, nous restons sur une tendance de fond où chaque génération cherche à sauvegarder son bien-être, même si cela doit conduire les suivantes dans le mur. En ce qui concerne les retraites, on sait que la rentabilité individuelle d'un système par répartition stable est proportionnelle au taux de croissance démographique, ce qui bénéficie très largement aux babyboomers. On sait donc depuis belle lurette que cette rentabilité va s'estomper à l'avenir. On aurait dû demander un effort de solidarité à cette génération pour amortir le choc financier à venir. Au-delà de l'échec de multiples tentatives de réformes considérées comme socialement inacceptables (par les générations présentes), on se souvient du funeste destin de la seule tentative sérieuse de solidarité intergénérationnelle dans ce domaine, le Fonds de réserve des retraites. Le climat porte les mêmes stigmates. Pour rester sous une hausse de 2°C, chacun aurait dû faire beaucoup plus d'effort de décarbonation depuis trente ans, mais on a préféré jouer la montre. Cela nous obligera à faire des sacrifices considérables dans les trente suivants. C'est encore l'inacceptabilité sociale de toute politique climatique impliquant des sacrifices qui a prévalu. En l'absence de droit de vote pour les générations futures, la démocratie est une dictature du présent. Notre système politique est fondamentalement inapte à faire les bons arbitrages intertemporels, même si ce système est le "moins pire" de tous. Les arbitrages intratemporels sont tout aussi complexes à réaliser dans ce système. Que veut dire aujourd'hui oeuvrer pour le bien commun? On ne peut définir ce concept sans mettre de valeur sur ce qui nous est cher. Les exemples des retraites et du climat illustrent ceci parfaitement. Nos dilemmes collectifs sont truffés d'enjeux redistributifs qui tendent à cacher des enjeux tout aussi fondamentaux. Dans la réforme des retraites, le vrai sujet, c'est celui des valeurs relatives du travail et du temps libre. Travailler plus, c'est créer plus de prospérité et plus de richesse, qui peut être utilisée pour payer un salaire, mais aussi pour financer nos écoles, nos hôpitaux et notre transition énergétique par exemple. Voulonsnous transformer les importantes améliorations de l'espérance de vie des dernières décennies en plus de pouvoir d'achat et de prospérité ou plus de loisirs? Idéalement, chacun devrait trancher cette question très personnelle, mais les multiples mécanismes redistributifs de notre système de retraite empêchent un bon alignement des intérêts privés avec le bien commun. Dans ma chronique de décembre sur la vitesse sur autoroute, j'avais utilisé une valeur du temps égale à la productivité horaire du travail, qui est de 70 euros en France. Permettez-moi de penser que, pour la plupart d'entre nous, la valeur d'une heure de temps libre est inférieure à cela. Ceci suggère que travailler plus en France a un bénéfice social supérieur à son coût social. Je connais tant d'instituteurs, d'infirmiers, d'avocats ou d'agronomes dont la retraite représente un désastre pour le pays. L'indispensable débat sur la compensation des perdants de la réforme et les moyens de maintenir les seniors au travail ne devrait pas obérer cette réalité collective. Dans ce même texte, j'évoquais aussi la valeur carbone, que j'évalue autour de 170 euros par tonne de CO2. Cela veut dire que je milite pour toutes les actions de décarbonation qui coûtent collectivement moins que cette valeur. Dans une réponse sur Challenges.fr, mes collègues Couppey-Soubeyran et Ekeland pensent au contraire que cette valeur est infinie, ce qui signifie que nous devrions être prêts à tout sacrifier pour sauver le climat. Les "gilets jaunes" apprécieront. En refusant de mettre une valeur sur le carbone, ces deux scientifiques rejettent l'approche au moindre coût collectif des stratégies de décarbonation. Ils font donc abstraction du problème fondamental de l'acceptabilité sociale de nos politiques climatiques. En confondant les notions de valeur et de prix, ils ont beau jeu d'idéologiser le débat par une pirouette anticapitaliste hors sujet. La recherche du bien commun nous oblige à valoriser les impacts des politiques sur le bienêtre des gens pour comparer les coûts sociaux aux bénéfices sociaux, en vue de hiérarchiser nos priorités collectives. L'impossibilité de débattre sur les retraites ou le climat vient aussi du refus de mettre sur la table un système de valeurs sur lequel nous pourrions construire du consensus. Mais la bataille n'est pas perdue: l'Europe vient de mettre une valeur de 45 euros par tonne de CO2 pour toutes les émissions issues de la mobilité et du résidentiel dans l'Union. C'est trop peu, mais elle a le mérite d'exister!?

En confondant les notions de valeur et de prix, on a beau jeu d'idéologiser le débat par une pirouette anticapitaliste hors sujet.

Article paru dans Challenges n°771, le 26 janvier 2023

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