Nous pouvons « accroître notre capacité de dépistage sans attendre la fabrication de nouveaux tests »

1 Avril 2020 Coronavirus

Lors de la pandémie de grippe espagnole de 1918-1919, les deuxième et troisième vagues de l’épidémie ont été les plus létales. Face à ce constat, une question inévitable se pose : combien de mois va-t-il falloir confiner l’ensemble de la population française ? Alors que le gouvernement annonce la prolongation de ce confinement jusqu’au moins la mi-avril, les modèles de dynamique épidémiologique suggèrent des durées de distanciation sociale sévère bien plus longues si l’on veut espérer contenir la deuxième vague de contagion.

Le coût social, économique et financier du confinement actuel, indispensable pour étaler la courbe de l’épidémie dans le court terme, est déjà extraordinairement élevé. Face à ce coût économique désastreux, il nous faut réfléchir dès maintenant à des stratégies de déconfinement que les décideurs publics pourront mettre en place dans les semaines à venir, une fois passé le premier pic de l’épidémie.

Un investissement de guerre

Nous appelons, avec beaucoup de nos collègues économistes en France et à l’étranger, à un investissement de guerre dans cette capacité, complémentaire à un effort massif pour la fabrication de respirateurs et d’équipements protecteurs. Il faudrait être capable de faire passer ces tests à plusieurs millions de Français chaque semaine. Et cela quel qu’en soit le prix, tant le coût économique de la stratégie du statu quo de confinement est exorbitant pour le revenu présent et futur de nos concitoyens.

L’objectif du gouvernement de faire monter cette capacité de tests à 50 000 par jour d’ici un mois est louable, mais totalement insuffisant. Il faut être réaliste et reconnaître qu’il faudra des mois pour produire un nombre de tests de dépistage au niveau des enjeux de sortie du confinement. C’est pourquoi nous militons pour une stratégie permettant d’accroître notre capacité de dépistage dans le court terme, sans attendre la production de nouveaux tests.

Les biologistes utilisent depuis longtemps des stratégies de « tests groupés » pour gérer des problématiques de dépistage de masse. Le principe est simple : il s’agit d’utiliser chaque test disponible pour détecter la présence du virus dans un groupe de n échantillons individuels. Les tests de groupe sont un outil puissant bien connu pour pallier l’insuffisance de la production de tests dans de nombreuses applications concrètes.

Le dépistage par échantillon représentatif de la population

Toute stratégie de déconfinement doit d’abord se gagner sur le terrain de l’information. Aussi incroyable qu’il y paraisse, nous ne savons même pas quel est le pourcentage de porteurs du coronavirus dans la population française, appelé prévalence. La présence supposée d’un large contingent de cas asymptomatiques crée une incertitude considérable sur les statistiques disponibles actuellement. Comment peut-on espérer construire une stratégie victorieuse face à cet ennemi pernicieux quand on ne connaît pas sa force ?

Fort heureusement, il existe une solution rapide et efficace pour acquérir l’information dont nous avons besoin dans ce combat : la mise en place d’un dépistage du virus sur un échantillon représentatif, c’est-à-dire tiré au sort, de la population. C’est le choix fort que vient de faire notre voisin allemand et que nous devons faire à notre tour.

Combinés à cet échantillon aléatoire, les tests par groupes permettent d’obtenir une estimation fiable du taux de prévalence sans devoir tester un énorme échantillon. Un test individuel dont le résultat est négatif 98 % du temps est peu informatif, et son résultat est presque connu à l’avance. En revanche, si 2 % de la population est infectée, un échantillon de 35 individus a environ 50 % de chances d’être infecté, si bien qu’un test d’un groupe de 35 personnes devient très informatif.

Un dispositif pour accélérer le déconfinement

Un calcul statistique permet de montrer qu’en testant par groupes d’individus, 500 tests seraient suffisants pour avoir une bonne estimation de la prévalence du virus, au lieu d’une dizaine de milliers en utilisant des tests individuels. Le retour au travail dans des conditions de sécurité maximale devant être une priorité, il est urgent de tester des groupes d’individus afin de les déclarer aptes au travail, ou non.

Si on teste un groupe dont aucun individu n’est infecté, le test sera négatif et tout le groupe pourra donc être simultanément libéré du déconfinement, et ce avec un seul test ! La théorie statistique nous apprend que la taille optimale des groupes à tester est égale à l’inverse du taux de prévalence dans la population. Par exemple, si 2 % de la population est infectée, il est optimal de tester des groupes de 50 personnes. En moyenne, un calcul simple montre que chaque test permet alors de libérer 18 personnes !

Cette procédure de dépistage doit être mise en place au sein de groupes présentant une forte corrélation d’infection, par exemple au sein d’un ménage, d’un même immeuble ou d’une même entreprise. Effectués régulièrement, ces tests de groupe peuvent être une des clés pour accélérer le déconfinement.

Accroître nos capacités de dépistage sérologique

Au-delà du dépistage massif, le succès de toute stratégie de déconfinement repose également sur notre capacité à détecter les personnes ayant contracté le virus dans le passé. Un grand nombre de personnes infectées par le Covid-19 sont asymptomatiques. Il y a donc dans la population française un réservoir d’individus ayant déjà développé les anticorps les rendant immunes au coronavirus, mais qui ne le savent pas.

Ces personnes pourraient jouer un rôle crucial dans les activités les plus exposées à l’infection, comme en milieu médical et dans le secteur de la distribution alimentaire par exemple. Pour détecter ces individus, des tests sérologiques existent, mais en bien trop faible quantité pour répondre à nos besoins. Là encore, un investissement public massif est nécessaire pour accroître nos capacités de dépistage sérologique. Mais nous pouvons dès aujourd’hui démultiplier la détection de personnes immunes en utilisant le groupage des tests.

Nous avons la chance de vivre dans un pays dans lequel les scientifiques sont encore écoutés par les décideurs publics, malgré leur perte de légitimité auprès d’une proportion grandissante de la population victime de la vague complotiste. Nos propositions sont connues depuis des décennies par les experts, en biologie, en mathématiques, n statistiques et en économie. Les tests groupés sur le Covid-19 sont opérationnels et déjà mis en œuvre à l’étranger, aussi bien en Israël que dans le Nebraska.

Article publié dans le Monde 1er Avril 2020

https://www.lemonde.fr/idees/article/2020/04/01/nous-pouvons-accroitre-notre-capacite-de-depistage-sans-attendre-la-fabrication-de-nouveaux-tests_6035124_3232.html