Nous devons construire une coalition pour le climat

10 Février 2021 Climat

L'arrivée de vaccins contre le Covid-19 a démontré la capacité de nos sociétés à prendre des mesures radicales et collectives pour relever les défis mondiaux. Mais le développement de vaccins a répondu à un problème avec un impact immédiat. La lutte contre le réchauffement climatique n'est pas moins urgente, mais son impact différé a entraîné un échec commercial et politique important. Nous avons tous notre rôle à jouer, déclare Jean Tirole, fondateur de TSE, en exhortant la communauté internationale à empêcher que le réchauffement climatique n'inflige des dommages durables aux générations futures. S'appuyant sur son livre "L'économie au service du bien commun", il trace une voie de bon sens pour remettre les négociations antérieures sur les rails.

Malgré l'accumulation de preuves scientifiques que les actions humaines jouent un rôle important dans le réchauffement climatique, l'action internationale a été décevante. L'accord de Paris n'a pas réussi à créer une coalition internationale pour un prix du carbone proportionnel à son coût social. Il n'a pas non plus permis de remédier à la pénurie mondiale de R&D verte (seuls 4 % de notre R&D sont consacrés au réchauffement climatique). En résumé, il ne prend pas au sérieux le problème du passager clandestin.

Tout accord international doit répondre à trois critères : efficacité économique, incitation au respect des engagements et équité. L'efficacité n'est possible que si tous les pays appliquent le même prix du carbone. Des incitations adéquates nécessitent des sanctions pour les resquilleurs. L'équité, un concept défini différemment par chaque partie prenante, doit être obtenue par des transferts forfaitaires. La stratégie des engagements volontaires de réduction des émissions est un autre exemple de pays qui reportent à une date ultérieure un engagement contraignant en matière d'émissions.

Des lueurs d'espoir

Toutefois, nous ne devons pas manquer de mentionner des raisons d'optimisme. Premièrement, la sensibilisation du public au problème s'est accrue ces dernières années, même si la pandémie actuelle risque de reléguer les considérations environnementales au second plan pendant un certain temps. En outre, plus de 40 pays, dont certains des plus importants (États-Unis, Chine, Europe) ont créé des marchés de permis d'émission négociables. Bien qu'ils disposent de plafonds généreux et de prix du carbone très bas en conséquence, ils font preuve d'une volonté d'utiliser une politique rationnelle pour lutter contre le réchauffement climatique. Les marchés locaux du carbone pourraient un jour se connecter pour former un marché mondial plus cohérent et plus efficace, même si les "taux de change" seront une question épineuse. Enfin, la forte baisse du prix de l'énergie solaire nous permet d'entrevoir des solutions économiques au problème des émissions dans les pays africains et d'autres pays en développement et émergents. Mais tout cela ne sera pas suffisant. Alors comment pouvons-nous tirer parti de cette dynamique ?

Bien qu'il soit important de maintenir un dialogue mondial, le processus des Nations unies a montré des limites prévisibles. Les négociations entre 195 nations sont incroyablement complexes. Nous devons créer une "coalition pour le climat" qui rassemble, dès le départ, les principaux pollueurs, présents et futurs. Il pourrait s'agir du G20 ou d'un groupe plus restreint : en 2012, les cinq plus gros pollueurs - l'Europe, les États-Unis, la Chine, la Russie et l'Inde - représentaient 65 % des émissions mondiales. Les membres de cette coalition pourraient convenir de payer pour chaque tonne de carbone émise. Dans un premier temps, aucune tentative ne serait faite pour impliquer les 195 pays dans la négociation mondiale, mais ils seraient invités à y participer. Les membres de la coalition feraient pression sur l'OMC, et les pays qui refuseraient d'entrer dans la coalition seraient taxés aux frontières. L'OMC serait partie prenante au motif que les non-participants sont coupables de dumping environnemental ; pour éviter un protectionnisme excessif de la part des différents pays, elle contribuerait à la définition de droits d'importation punitifs.

Que pouvons-nous faire ?

Pour dire les choses simplement, nous devons nous remettre sur la voie du bon sens.

1. La première priorité des futures négociations devrait être un accord de principe pour établir un prix universel du carbone compatible avec l'objectif d'une augmentation maximale de 1,5°C des températures mondiales moyennes. Les propositions visant à différencier les prix du carbone en fonction des pays ouvrent non seulement une boîte de Pandore, mais elles ne sont pas bonnes pour l'environnement, car la croissance future des émissions proviendra des pays émergents et des pays pauvres. La sous-évaluation du carbone dans ces pays ne limitera pas le réchauffement à une augmentation de 1,5 °C : les prix élevés du carbone dans les pays développés encouragent la délocalisation des installations de production qui émettent des gaz à effet de serre vers des pays où le prix du carbone est faible, annulant ainsi les efforts consentis dans les pays riches.

2. Augmentons substantiellement les efforts de R&D verte, en créant par exemple un ARPA-E européen. Et dotons cette entité d'une gouvernance adéquate afin d'éviter un échec de cette politique industrielle.

3. Nous devons également parvenir à un accord sur une infrastructure de contrôle indépendante pour mesurer et superviser les émissions dans les pays signataires, avec un mécanisme de gouvernance convenu.

4. Enfin, abordons de front la question de l'équité. C'est une question majeure, mais l'enfouir dans des discussions consacrées à d'autres sujets ne rend pas la tâche plus facile. Il faut un mécanisme de négociation qui, après l'acceptation d'un prix unique du carbone, se concentre sur cette question. Aujourd'hui, il est inutile d'essayer d'obtenir des promesses ambitieuses de fonds verts de la part des pays développés sans que cela débouche sur un mécanisme capable d'atteindre les objectifs climatiques. L'aide financière verte pourrait prendre la forme de transferts financiers ou, s'il existe un marché mondial des permis d'émission, d'une allocation généreuse de permis aux pays en développement.

Il n'y a pas d'autre solution.

 

TSE Mag #21 Hiver 2021

Photo Markus Spiske on Unsplash