Après le dollar, quel système monétaire?

7 Mai 2025 Finance

Le "privilège exorbitant" du dollar s'accompagne d'un devoir d'endettement de moins en moins supportable pour l'Amérique de Donald Trump. Mais l'avènement d'un système monétaire multipolaire reste loin, analyse Frédéric Cherbonnier.

Depuis des années est évoqué le basculement vers un système monétaire multipolaire où le dollar partagerait son rôle de monnaie de réserve avec l'euro et le yuan. De fait, la part du dollar dans les réserves mondiales est passée progressivement de 70 % à 60 % en l'espace de vingt ans. Donald Trump pourrait bien accélérer ce mouvement avec des conséquences graves pour la stabilité financière.

En pratique, les banques centrales à travers le monde cherchent à disposer d'une réserve de titres sûrs afin de faire face à des crises. Les Etats-Unis les fournissent sous forme de bons du Trésor et détiennent en contrepartie des actifs risqués à l'extérieur.

Cela leur confère le "privilège exorbitant" de pouvoir s'endetter à faible coût, expression due à Valéry Giscard d'Estaing en 1965, mais aussi un "devoir exorbitant", selon les économistes Pierre-Olivier Gourinchas et Hélène Rey, celui de financer le reste du monde. Quitte à subir régulièrement de lourdes pertes dès que l'économie mondiale entre en récession.

Cela ne peut durer éternellement car le pays émetteur de la monnaie de réserve doit en théorie faire grossir éternellement sa dette pour répondre à la demande des autres pays jusqu'à ce que cela ne soit plus soutenable. Ainsi, la monnaie hégémonique est par nature fragile, un paradoxe mis en lumière par l'économiste Robert Triffin dès 1960.

Trump veut le beurre et l'argent du beurre

Donald Trump rejette ce système monétaire car il le considère comme le principal responsable du déficit commercial américain. Il voudrait en fait "le beurre et l'argent du beurre", espérant à la fois faire décrocher le dollar (pour gagner en compétitivité) , maintenir la capacité à financer le déficit (en forçant d'autres pays à détenir de la dette américaine ou des cryptomonnaies adossées au dollar) et cela sans pénaliser sa population.

Mais déséquilibre intérieur et extérieur sont liés: les déficits américains (budgétaires et commerciaux) résultent d'abord d'un excès de dépenses. Une résorption rapide de tels déficits ne peut se faire sans appauvrissement des ménages américains.

L'attitude américaine pourrait faire perdre en partie au dollar son caractère d'"actif sûr". Lorsque les banques centrales accumulent des réserves, elles se portent sur les titres les moins risqués - créances du Trésor américain et, dans une moindre mesure, Bund allemand.

Ce choix s'explique d'abord par la capacité de ces pays à honorer leur dette mais, comme l'ont montré plusieurs économistes récemment, il s'agit d'un équilibre autoréalisateur: la sûreté de ces actifs dépend des croyances des investisseurs. Les incertitudes de la politique américaine pourraient modifier ces croyances, faisant basculer le système monétaire dans l'inconnu.

Turbulences en vue

A quoi ressemblerait un système monétaire multipolaire? On a longtemps pensé que disposer de plusieurs monnaies de réserve serait un garant de stabilité mais, d'après les économistes Emmanuel Farhi et Matteo Maggiori, cela ne serait pas nécessairement le cas. Les croyances des investisseurs pourraient fluctuer au cours du temps et induire des reports d'une monnaie vers l'autre.

De tels systèmes ont existé dans le passé. L'histoire économique met en évidence des périodes de stabilité (la fin du XIXe siècle avec la livre, le franc et le mark) et des périodes de forte instabilité (les années 1920 avec le dollar et la livre, conduisant à l'effondrement en 1931 du système dit d'étalon-or). Difficile donc de prédire ce que sera le système monétaire de demain.

Cela étant, le monde ne semble pas prêt pour cela - notamment du fait de l'absence d'une véritable union budgétaire dans la zone euro ainsi que du contrôle des capitaux libellés en yuan par la Chine. Tout au plus peut-on s'attendre à de fortes turbulences sur le dollar qui risquent de peser sur l'économie mondiale et en particulier sur l'économie américaine!

Article paru dans Les Echos le 6 mai 2025

Illustration:  Photo de Alexander Grey sur Unsplash