Le plaisir de comprendre

30 Janvier 2019 Economie numérique

Quels sont vos principaux travaux ?

Mes travaux de recherche, en statistique mathématique, se concentrent notamment sur la théorie des problèmes inverses, c’est à dire l’estimation des causes d’un phénomène à partir de ses conséquences. Ce type de travaux est extrêmement utile pour l’imagerie satellitaire ou médicale et permet de répondre à de nombreuses questions statistiques. La principale originalité de mes recherches a été l’utilisation de cette théorie en économétrie pour permettre une meilleure prise en compte de l’endogénéité, des modèles de traitement, d’enchères ou de contrat et l’introduction de données de grande dimension.

Un autre thème de mon travail est l’étude des valeurs extrêmes des distributions de probabilité appliquée aux problème de frontière d’efficacité. Celle-ci représente la situation optimale pour une entreprise ou une entité de décision. On peut par exemple penser, pour une usine, à une courbe qui représenterait, pour chaque niveau de stock de matériaux, la production maximale possible, c’est un outil très utile.

Enfin, plus récemment, je me suis penché sur la théorie des réseaux et plus généralement sur l’introduction de concepts géométriques en estimation fonctionnelle. C’est à dire, l’étude des réseaux (par exemple sociaux) et leur géométrie lorsque ceux-ci sont très étendus. Ce sont des problématiques que l’on rencontre dès lors que l’on manie d’immenses jeux de données sur des réseaux entre individus et qui permettent de comprendre quels sont les comportements qui sont propres à l’individu et ceux qui sont le produit de la société dans laquelle il évolue. Nous commençons à travailler sur ces sujets avec mes collègues de TSE et notamment Stéphane Villeneuve, Thomas Mariotti et Jérôme Bolte.

Qu’est ce qui vous a intéressé dans ces problématiques ?

C’est avant tout l’intérêt pour ces objets mathématiques qui m’a poussé à m’intéresser aux questions de réseaux. Ce sont des structures complexes et à la pointe de la recherche actuelle dans le domaine statistiques, comme peuvent l’être les questions relatives au Big Data ou au Machine Learning.

D’autre part le plaisir de comprendre et de définir avec précision des phénomènes et la satisfaction intellectuelle qui en résulte sont les raisons de mon amour des mathématiques. Celles-ci permettent une puissance de raisonnement sans comparaison où les problèmes les plus complexes peuvent être exprimés, et résolus, avec quelques caractères.

Outre cet amour des mathématiques, que retenez-vous de votre parcours ?

Avant tout l’encadrement de plus de 50 doctorants dont la plupart sont maintenant professeurs dans les meilleures universités aux quatre coins du monde. Je travaille d’ailleurs encore régulièrement avec une dizaine d’entre eux sur de nombreux sujets. C’est réellement un plaisir de partager et de guider de nouvelles générations de chercheurs et je crois que c’est quelque chose que nous faisons très bien ici.

Je retiens également la force de la recherche partenariale. Je suis convaincu que le fait d’échanger avec les entreprises, comme j’ai pu le faire avec La Poste, Royal Mail, le CNES, Telefonica, EDF et d’autres, fait surgir des problématiques de recherche qui ne sont pas standardisées. C’est cet avantage qui a participé à la renommée de la recherche en économie à Toulouse et qui nous a permis d’aboutir à des résultats de recherche sans précédents. Le contact avec le monde réel entraîne mécaniquement des questionnement sur des enjeux insoupçonnés et le Prix Nobel de Jean Tirole a d’ailleurs en partie couronné des travaux issus de la recherche partenariale.

A quoi ressemblait TSE en 1986 ?

Tout a commencé en 1985 quand Jean-Jacques Laffont a reçu la validation de deux postes de professeurs à Toulouse qu’il nous a immédiatement proposé à moi-même et Jean-Charles Rochet et nous avons ainsi respectivement rejoint Toulouse en 86 et 87. L’esprit entrepreneurial de Jean-Jacques et sa vision ont permis à l’institution de se transformer en un centre de recherche de rang international. D’une part parce qu'il avait ce rêve et cette volonté, et d’autre part parce qu'il a su s’entourer d’excellents professeurs et s’appuyer de manière innovante sur les institutions françaises pour les faire travailler de concert.

L’esprit de l’époque et les opportunités que nous avions me manquent un peu, tout nous semblait possible et notre petit nombre nous permettait une flexibilité que nous avons mécaniquement perdue en grandissant. Cependant notre taille actuelle nous permet beaucoup plus de souplesse dans de nombreux autres domaines, tels que le recrutement, l’invitation de visiteurs prestigieux et nous bénéficions surtout d’une animation scientifique extraordinaire qui n’a que peu d’équivalents dans le monde.

Extrait du TSE Mag#17 Eté 2018