La recherche en sciences sociales enfonce-t-elle des portes ouvertes ?

24 Septembre 2019 Science

Qui n’a pas eu parfois cette interrogation à la lecture d’une revue universitaire de sciences sociales : la recherche nous apprend-elle quelque chose que le simple bon sens ne nous aurait pas déjà suggéré ?
Testons cette interrogation sur sept documents de travail du National Bureau of Economic Research (NBER) américain et du Centre for Economic Policy Research (CEPR) britannique, en fonction de la nature de leur apport à notre savoir.
Le premier type d’apport concerne l’estimation de phénomènes qui ne sont pas surprenants en soi, mais dont l’ampleur doit être chiffrée : il s’agit de mesurer l’importance de son effet. Une étude sur les hôpitaux aux Etats-Unis montre que le fait d’être en situation de monopole dans une ville permet à un hôpital de tarifer 12 % de plus que s’il avait quatre concurrents (Cooper et alii, NBER n° 21815).
On savait que les monopoles nous coûtaient cher, mais 12 %, c’est beaucoup !

De quoi réfléchir…

Le deuxième type de conclusion concerne des phénomènes dont certains soupçonnent l’existence alors que d’autres en sont dubitatifs. Trois études se trouvent dans cette catégorie. Jarotschkin et Zhuravskaya (CEPR 13865) montrent que les déportations de plus de deux millions de personnes de l’URSS occidentale en Sibérie et en Asie centrale ont eu des effets durables sur les relations entre hommes et femmes des ethnies dans les régions destinataires.
Bommer et al. (CEPR 13957) montrent que le niveau d’aide humanitaire international à la suite des catastrophes naturelles est entre 45 % et 85 % plus élevé lorsque l’événement déclencheur a lieu dans la région de naissance du chef de l’Etat du pays récipiendaire.
Djourelova et Durante (CEPR 13961) montrent que les présidents américains ont une probabilité plus élevée de signer des Executive Orders (ordres exécutifs unilatéraux, souvent controversés) la veille de la parution dans les médias d’une information majeure susceptible de détourner l’attention. Dans les deux derniers cas, les cyniques ne seront pas surpris, mais ceux qui croient encore à l’objectivité des processus démocratiques trouveront de quoi réfléchir.


La bonne mesure

Un troisième type de conclusion impose des résultats que nous préférerions ignorer, ou qui vont contre nos convictions les plus ancrées. Mes collègues de la corporation des professeurs d’université ne me remercieront pas, mais une étude (Feld et al, CEPR 13883) montre que les résultats pédagogiques d’étudiants qui suivent des travaux dirigés par des professeurs de haut rang ne sont pas meilleurs que ceux des étudiants d’enseignants de rang plus humble. Nous le savions quand nous
étions étudiants, mais nous l’avons oublié en devenant profs…
Une étude sur les chômeurs devenus conducteurs pour Uber (Fos et al, CEPR 13885) montre qu’ils ont moins tendance à demander des allocations chômage, sont moins endettés et ont moins de problèmes de remboursement de leurs dettes que les chômeurs des régions où Uber n’est pas présent : l’impact net de cette plate-forme sur le marché du travail est donc bien positif…
En revanche, un dernier type de conclusion semble bien justifier notre interrogation initiale. Ainsi, une étude utilisant des données très détaillées de Facebook à New York (Bailey et al, NBER 26029) nous apprend que les gens qui sont amis sur Facebook sont en moyenne géographiquement plus proches les uns des autres que les gens qui ne sont pas amis, et que la bonne mesure de proximité est le temps de voyage entre leurs domiciles plutôt que la distance à vol d’oiseau. Certes, cette conclusion nous rassure sur la fiabilité des données de Facebook, mais aurait-il pu en être autrement ?
Seuls les oiseaux mesurent la proximité de leurs amis à vol d’oiseau…