Les prix des médicaments sont négociés par l’équivalent des « sécus » de chaque pays, mais les biens circulent librement en Europe. Des revendeurs gagnent donc leur vie en profitant des écarts de prix. Les commandes européennes centralisées vont-elles s’imposer, comme pour les vaccins ? Analyse de Pierre Dubois.
La crise du Covid 19 a apporté un nouvel éclairage sur l’importance de la chaîne de distribution et d’approvisionnement des produits de santé, mais aussi sur la question cruciale de leurs prix.
Sachant que chaque pays a son propre système de santé et ses propres règles de tarification et de remboursement, le prix des médicaments varie en réalité du simple au triple en Europe (en incluant Suisse, Norvège et Lichtenstein). Une aubaine pour certaines entreprises, qui achètent des médicaments en Grèce ou au Portugal, pour les revendre dans les pays plus riches du nord de l’Europe.
Ce commerce parallèle intra-européen a bondi depuis les années 1990. Légal, il pose cependant plusieurs problèmes, affirme Pierre Dubois. « L’absence de convergence des prix nuit aux pays pauvres. Si la demande est forte, à cause d’une épidémie par exemple, le commerce parallèle va drainer les médicaments des pays où les prix sont bas vers ceux où ils sont plus élevés. Cela peut donc susciter des pénuries, le temps que la chaîne de production se mette en route, et que l’offre soit suffisante », explique Pierre Dubois.
« Il est possible que ce commerce parallèle soit une cause de pénurie en France, car en cas de forte demande, l’offre sert d’abord les pays qui paient le plus », avance le chercheur, qui souligne cependant que la marge des pharmaciens est régulée dans l’Hexagone.
Une menace pour la capacité d’innovation
Le marché parallèle permet aux intermédiaires de gagner des sommes conséquentes, mais ni les consommateurs, ni les laboratoires n’en sortent gagnants. « Pour la même dépense de santé, une somme plus faible rémunère les brevets. Les grands perdants sont donc les producteurs, et, par conséquent l’innovation », déplore l’économiste.
Pierre Dubois a étudié ce phénomène de commerce parallèle sur des anti-cholestérols, et en particulier le Lipitor de Pfizer. En Norvège, selon le chercheur, des chaînes de pharmacie négocient fréquemment face aux laboratoires, pour obtenir des rabais en utilisant la menace du commerce parallèle.
Cette logique s’applique en particulier aux médicaments sous brevet, dont le fabricant détient le monopole pendant une dizaine d’années. Une fois passés en génériques, la marge baisse et le commerce parallèle devient bien moins intéressant.
Des solutions
Pierre Dubois a étudié ce phénomène de commerce parallèle sur des anti-cholestérols, et en particulier le Lipitor de Pfizer. En Norvège, selon le chercheur, des chaînes de pharmacie négocient fréquemment face aux laboratoires, pour obtenir des rabais en utilisant la menace du commerce parallèle.
Cette logique s’applique en particulier aux médicaments sous brevet, dont le fabricant détient le monopole pendant une dizaine d’années. Une fois passés en génériques, la marge baisse et le commerce parallèle devient bien moins intéressant.Pierre Dubois a réfléchi aux solutions envisageables pour stopper ce commerce aux effets délétères. « Des laboratoires ont essayé de varier les dosages des médicaments selon les pays ou de rendre les autorisations de mise sur le marché plus restrictives. Mais c’est un système coûteux. Il faut s’assurer que les médicaments sont toujours efficaces », constate-t-il.
La création d’une assurance européenne pour la santé est une piste alternative. Mais elle se heurte à bien des difficultés, au moins sur le court terme. « Une autre solution serait d’interdire le commerce parallèle des médicaments, mais cela donnerait le sentiment d’un repli protectionniste », note le chercheur.
Faut-il alors changer la tarification des médicaments ? « Diminuer les différences de prix fixés d’un pays à l’autre serait dissuasif pour le commerce parallèle. C’est une piste intéressante. Mais pour que les laboratoires acceptent cette idée, il faudrait leur octroyer certaines compensations », estime Pierre Dubois.
Des prix plus élevés
Selon lui, la prochaine Loi de finances de la sécurité sociale laisse augurer un changement positif pour la France. «On va dépenser davantage pour la santé, et cela pourrait entraîner une valorisation des prix des médicaments. Étant donné que nous sommes un « gros » pays avec de nombreux consommateurs, on obtient actuellement des prix faibles. Mais en réalité, je ne pense pas que pousser le prix des médicaments à la baisse soit une bonne idée. Contrairement à l’essence, les prix ne s’ajustent pas aux évolutions de la demande, car ils sont régulés. Résultat, nos stocks s’épuisent».
Si les pénuries ne datent pas d’hier, la crise du Covid-19 les a rendues visibles. « Il y en avait déjà, sur des anti-cancéreux par exemple, mais cela touchait un nombre moins important de personnes ».
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