OPINION. Nous pouvons aujourd'hui collecter facilement de nombreuses données, dans tous les domaines. Mais si cette collecte s'est largement développée, nous avons besoin des mathématiques pour comprendre un phénomène observé et prendre les bonnes décisions. L'apport des mathématiques est d'analyser l'évolution des phénomènes, de les simplifier au maximum, et éventuellement de les simuler à l'aide d'outils informatiques. C'est ce que nous avons fait pour la lutte contre certains cancers en partenariat avec l'Oncopole de Toulouse. Par Sébastien Gadat, professeur de mathématiques à la Toulouse School of Economics (TSE).
La lutte contre un cancer est en substance simple d'un point de vue mathématique. De grands amas de cellules cancéreuses se développent et se cachent dans tout le corps. De l'autre côté, le système immunitaire dispose de petites cellules tueuses cytotoxiques qui peuvent attaquer et détruire certaines cellules cancéreuses. L'immunothérapie tente de stimuler ces mécanismes immunitaires. Ces thérapies sont moins traumatisantes que la chirurgie ou la chimiothérapie, puisque c'est le corps lui-même qui interagit avec son cancer.
Toutes les cellules se divisent et c'est malheureusement aussi le cas des cellules tumorales. Cette division se produit à des moments aléatoires. Nous pouvons décrire ce processus de division à l'aide de lois exponentielles, qui nous indiquent la probabilité qu'une division se produise après un temps donné. La géométrie de la croissance d'un amas de tumeurs est grossièrement sphérique avec un noyau inerte et une couche externe qui peut se nourrir et croître.
Mouvements aléatoires
Les cellules tueuses ont des mouvements aléatoires. Ces trajectoires ont des propriétés mathématiques qui sont radicalement différentes en 3D qu'en 2D, avec beaucoup plus de possibilités de mouvement. Une fois qu'une cellule tueuse a rencontré la tumeur, sa capacité à combattre la tumeur est également aléatoire. Combien de cellules tumorales une cellule tueuse peut-elle détruire ? Quelle est la probabilité de tuer une ou plusieurs cellules cancéreuses ?
Pour comprendre l'évolution de ce système simple - des cellules tueuses contre des tumeurs -, nous avons examiné les données biologiques et développé un modèle simple aussi proche que possible de la réalité, en isolant les comportements fondamentaux. Au terme de l'étude mathématique, nous disposions d'un modèle de la croissance de la tumeur, d'un modèle du mouvement de chacune des cellules tueuses dans le corps, et d'un modèle de l'interaction entre la cellule tueuse et la tumeur. Après de nombreux échanges avec les biologistes pour estimer tous les paramètres, et les informaticiens pour obtenir des simulations convaincantes et grâce à des méthodes exploitant la loi des grands nombres, nous avons pu calculer les probabilités de succès thérapeutique.
Deux sous-populations de cellules tueuses
Grâce à un test statistique, nous avons ainsi découvert qu'il existait en fait deux sous-populations de cellules tueuses, certaines tuant moins que d'autres. Cette découverte a ensuite été confirmée par les biologistes. Nous avons même été capables d'identifier les proportions de chaque catégorie. Mathématiquement, nous avons aussi découvert un facteur clé du succès de l'immunothérapie : l'augmentation du nombre de rencontres entre les cellules tueuses et la tumeur. Ce paramètre s'est révélé beaucoup plus important que la stimulation du système immunitaire lui-même. Les cellules tueuses très mobiles sont plus efficaces que les cellules tueuses agressives ayant un taux d'élimination élevé.
Nous explorons maintenant des pistes permettant aux cellules tueuses de communiquer aux autres cellules tueuses la position des tumeurs grâce à la chimiotaxie qui permet aux cellules de laisser des traces chimiques aux autres cellules. Ce travail a été inspiré par des modèles mathématiques qui décrivent comment les colonies de fourmis convergent rapidement vers un lieu d'intérêt une fois qu'il a été trouvé.
Article paru dans La Tribune le 1er mars 2022
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