Inciter les consommateurs à adopter des comportements écologiques peut avoir des effets indésirables

14 Décembre 2015 Climat

La réduction des émissions de CO2 exigera des changements fondamentaux dans le comportement des consommateurs, des producteurs et des États. En règle générale, les économistes favorisent les incitations de type économique (essentiellement par les prix) pour inciter les ménages à adopter des comportements pro-environnementaux. Les aspects économiques (coût d’investissement, économies espérées) ne sont toutefois qu’un des éléments à prendre en compte et des études de psychologie ont montré que des mécanismes plus complexes pouvaient entrer en jeu pour expliquer l’adoption de comportements pro-environnementaux par les ménages, avec des effets parfois inattendus.

 

Par exemple, l’adoption d’une technologie moins énergivore entraîne quelquefois à sa suite une augmentation de la consommation d’énergie. Pour les économistes, cet effet dit de « rebond » résulte de ce que des pratiques consommatrices d’énergie sont devenues relativement moins coûteuses en raison du gain d’efficacité induit. Il existe cependant d’autres types d’effets de rebond, notamment psychologiques. On observe ainsi, dans de nombreux domaines (consommation alimentaire, comportements pro-sociaux par exemple), des phénomènes dits de compensation morale, lorsque des personnes sont désinhibées ou déculpabilisées après avoir réalisé ce qu’elles considèrent être une « bonne action ». Une étude récente menée par V. Tiefenbeck et coll. (2013)[1] a montré que des ménages exposés à une campagne de sensibilisation sur les gaspillages d’eau consommaient effectivement moins d’eau mais augmentaient dans le même temps leur consommation d’électricité.

 

Une recherche en cours, qui s’appuie sur une enquête de l’OCDE menée auprès de plus de 12 000 foyers dans 11 pays, livre des enseignements nouveaux sur les leviers du comportement pro-environnemental des ménages. Cette recherche se concentre sur les domaines de l’eau et de l’énergie, et distingue les comportements « coûteux » (acquisition d’équipements onéreux augmentant l’efficacité en eau et en énergie) et les comportements « peu coûteux » (telles que des habitudes de consommation qui consistent à éteindre la lumière après avoir quitté une pièce ou prendre une douche au lieu d’un bain). Cette étude distingue également deux types de ménages selon leur opinion sur la question du changement climatique et le rôle que les individus peuvent jouer. Le premier type de foyer est acquis à la protection de l’environnement et pense que tout un chacun peut, en adoptant des actions favorables à l’environnement,  contribuer à atténuer les conséquences négatives du changement climatique. Le deuxième type de foyer, en revanche, va adopter un comportement pro-environnemental pour des raisons différentes, par exemple dans l’espoir de réaliser des économies en matière de dépenses en eau ou en énergie.

 

Les résultats de cette étude confirment d’abord que les incitations économiques ont un effet sur l’adoption d’un comportement pro-environnemental mais l’effet observé diffère selon le revenu des individus. Les foyers riches engageront des actions coûteuses permettant d’atténuer l’impact de leur consommation énergétique sur l’environnement alors que les foyers plus pauvres auront plutôt tendance à développer des habitudes (peu coûteuses) de consommation d’eau et d’énergie visant à limiter le gaspillage.

 

Cette étude met également en évidence le rapport entre les attitudes liées au changement climatique et les comportements en faveur de l’environnement. Confirmant les résultats d’autres recherches, elle montre d’abord que plus les ménages se disent préoccupés face au changement climatique, plus ils auront tendance à adopter des comportements pro-environnementaux. Mais cette étude montre également que le niveau de préoccupation des ménages diminue après que ceux-ci ont adopté des comportements pro-environnementaux coûteux. Cet  effet de rebond négatif est plus prégnant parmi les foyers acquis à la protection de l’environnement.

 

Ces résultats sont frappants mais il est important de noter qu’ils s’appuient sur l’observation des attitudes et comportements des ménages au cours d’une seule année (2011). Il serait intéressant de pouvoir refaire ce type d’étude sur un échantillon de foyers que l’on suivrait pendant plusieurs années. Sous ces réserves, le résultat semble indiquer intuitivement qu’un foyer riche et pro-environnement va d’abord engager des investissements coûteux, penser que de tels efforts sont engagés collectivement, et devenir en conséquence plus optimiste ce qui le conduira in fine à relâcher ses propres efforts.

 

Ces conclusions plaident en faveur d’incitations économiques et de campagnes éducatives renforcées qui rappelleront aux foyers les risques liés au changement climatique. Les décideurs politiques qui veulent proposer des incitations doivent cependant être conscients des possibles effets de rebond psychologiques et leurs conséquences parfois surprenantes et contraires à ce qui est attendu. Il est également important de tenir compte que les réactions des ménages aux différentes politiques mises en œuvre dépendent de leurs attitudes et motivations en faveur de la protection de l’environnement.

 

A cet égard, il faut sans doute s’attendre à ce que le gouvernement français se félicite d’un futur accord conclu à l’issue de la COP 21, et cela même si le sommet climatique aboutit à un demi-échec - les intentions affichées par les États avant la conférence de Paris étaient déjà insuffisantes pour limiter à 2°C la hausse de la température mondiale, alors même qu’il ne s’agit que de simples promesses. Une manière de s’auto-congratuler qui risque d’envoyer un signal faussement optimiste aux individus et conduire certains à relâcher leurs efforts.

 

Pour plus de détails, veuillez vous référer à : Céline Nauges et Sarah Ann Wheeler, « The negative rebound effect of high-cost water and energy mitigation on climate change concern », Document de travail TSE, n° 15-611, novembre 2015.

 

[1] V. Tiefenbeck, T. Staake, K. Roth, O. Sachs, « For better or for worse? Empirical evidence of moral licensing in a behavioral energy conservation campaign », Energy Policy 57, 2013, p. 160-171.