Brexit, Trump… les chercheurs n’ont rien vu venir

24 Novembre 2016

La séduction politique ou religieuse, comme la séduction sexuelle, garde sa part de mystère malgré les efforts des scientifiques pour la comprendre.
L’élection de Donald Trump n’est que le dernier d’une série de phénomènes que les chercheurs en sciences sociales – comme beaucoup de leurs concitoyens – n’ont pas prévu ces derniers mois.
Le résultat du référendum sur le Brexit a étonné la majorité des économistes et des politologues (comme, de toute évidence, ceux qui ont mené la campagne pour le « out »). Il en a été de même pour le basculement vers le nationalisme en Pologne, un des pays qui a le plus bénéficié, ces dernières années, de la démocratie et du commerce libre.
D’autres évolutions dans le monde provoquent autant de perplexité chez les chercheurs – comme la capacité de l’Organisation Etat islamique à attirer des recrues apparemment idéalistes et
souvent éduquées par une propagande aussi simpliste que brutale. Il ne suffit pas de se révolter contre la naïveté des gens.

Complexité dérangeante

Le lendemain du Brexit, j’ai été traversé par la pensée que mes concitoyens – car je suis sujet de Sa Majesté britannique – n’avaient jamais autant mérité cette épithète. Il est temps que les
sciences sociales affrontent avec plus d’ambition la complexité parfois dérangeante de la motivation humaine. Il ne suffit pas non plus de répondre que le populisme a des racines connues
au sein des communautés bouleversées par la mondialisation.
Même si les sondages de sortie des urnes ont confirmé l’attrait de Donald Trump chez les personnes de faible éducation, il a aussi devancé Hillary Clinton chez les électeurs aux revenus
supérieurs à 50 000 dollars par an (49 % contre 47 %).
Même la corrélation entre niveau d’éducation et soutien de Clinton est trompeuse, car elle met ensemble toutes les catégories raciales. Or, parmi les Blancs ayant au moins une licence universitaire, 49 % ont voté pour Trump et 45 % pour Clinton.

Le « trumpisme » et d’autres phénomènes analogues bouleversent les analyses purement économiques. Si 60,1 % des électeurs anglais de la région défavorisée de Carlisle, juste au sud
de la frontière écossaise, ont voté pour quitter l’Union européenne, dans la région voisine écossaise de Scottish Borders, non moins défavorisée, la proportion a été seulement de 41,5 %.
L’économie explique ici tout, sauf l’essentiel. La frontière écossaise a sa propre magie.

Identités multiples

On pourrait donc imaginer que l’analyse de la politique identitaire donnerait le bon éclairage. Mais avoir été insulté par Donald Trump n’est pourtant pas une condition suffisante pour provoquer un
vote contre lui. 53 % des femmes blanches ont voté pour Trump. Tout comme 33 % des hommes latinos, cette catégorie traitée de « violeurs » par le nouveau président. Peutêtre
se sontils dit que le terme n’était pas si offensant que cela venant de sa part…
Quoi qu’il en soit, ces paradoxes nous rappellent que nous avons tous des identités multiples. Nous sommes capables de nous distancier d’une identité dévalorisée pour en affirmer une autre. Il
faut qu’un discours politique nous séduise, qu’un récit nous fasse rêver. Et le rêve n’obéit guère à la discipline scientifique.
La séduction politique ou religieuse, comme la séduction sexuelle, garde sa part de mystère malgré les efforts des scientifiques pour la comprendre. Elle en gardera toujours, car la séduction,
c’est comme la guerre – quand la cible comprend la manipulation, le séducteur va modifier la stratégie pour infiltrer ses défenses. Les grands séducteurs politiques ne recyclent jamais sans les modifier les stratégies qui ont marché autrefois ou ailleurs.
On peut s’attendre aussi à ce que tout système de valeurs – y compris celles véhiculées par des institutions comme les écoles, les Eglises, les syndicats ou les partis politiques traditionnels – s’affaiblisse dans le temps pour les mêmes raisons, si le discours politique n’est pas renouvelé.
La fatigue est un terrain propice au populisme et peu comprise par la science politique, qui a décidément besoin d’une conception de l’être humain plus sophistiquée que celle dont nous disposons jusqu’ici.