La hausse du seuil de revente à perte, une fausse bonne idée

8 Février 2018 Alimentation

Relever le seuil de revente à perte (SRP) des distributeurs de 10 %, comme le propose le nouveau projet de loi à la suite des Etats généraux de l’alimentation, ne permettra pas d’atteindre l’objectif affiché d’améliorer le revenu des agriculteurs. En revanche, on peut en attendre une hausse des prix de détail qui nuira aux consommateurs et profitera aux distributeurs et industriels les plus puissants. Cette réforme est une fausse bonne idée dont on comprend d’autant mieux l’attrait politique qu’elle a le don d’accorder industriels et distributeurs sur le dos des consommateurs.
Concrètement, relever le SRP de 10 %, c’est imposer aux distributeurs de fixer le prix de détail de chaque produit au moins 10 % au-dessus de son prix d’achat effectif au fournisseur. Cette mesure les place face au choix suivant : soit, ils augmentent le prix de détail, quitte à mécontenter les consommateurs et à voir la demande pour le produit concerné diminuer, soit ils cherchent à faire baisser leur prix d’achat pour limiter l’augmentation des prix de détail. La seconde option renforce la pression exercée sur les fournisseurs les moins puissants de la filière, c’est-à-dire les agriculteurs, que cette mesure n’empêchera en rien de vendre leur production à perte.

Les torts causés par les mauvaises définitions du SRP adoptées par le passé ont été largement analysés et évalués. En 1996, la loi Galland a fixé le SRP d’un produit au prix unitaire d’achat sur facture, à l’exclusion des rabais fixes accordés par les producteurs aux distributeurs (les « marges arrière »). Pendant une dizaine d’années, cette définition a engendré une mécanique de prix très inflationniste. Ce seuil artificiellement élevé était d’autant plus dangereux qu’il devait être non différencié : chaque distributeur était alors assuré que ses rivaux auraient le même SRP, donc le même prix minimal que lui.

Prix trois fois net 

Les distributeurs et les principaux fournisseurs ont rapidement compris l’intérêt d’élever ce seuil au plus haut, afin de maintenir les prix à la consommation élevés, et de se partager par les marges arrière les bénéfices de l’opération sans en faire profiter les agriculteurs. Les comparaisons internationales de l’évolution des prix de l’alimentation font clairement apparaître à cette époque un décrochage à la hausse entre la France et ses voisins européens (voir « La loi Galland sur le commerce : Jusqu’où la réformer ? » collection « Opuscule du Cepremap », Editions de la Rue d’Ulm, 2008, lien vers PDF).
La commission Canivet a proposé en 2004 dans son rapport « Restaurer la concurrence par les prix. Les produits de grande consommation et les relations entre industrie et commerce » (La Documentation française, lien vers PDF) des pistes de réforme mises en œuvre progressivement. En 2007, la loi Chatel a intégré les marges arrière au SRP, établi au « prix trois fois net ».

La loi de modernisation économique de 2008 redonne aux producteurs la possibilité de proposer des tarifs différenciés selon les clients, ce qui a permis de briser l’effet prix plancher (une analyse détaillée de ces réformes est présentée dans le rapport pour le ministre de l’économie « Evaluation des effets de la loi de modernisation économique et des stratégies d’alliances à l’achat des distributeurs », par Marie-Laure Allain, Claire Chambolle et Stéphane Turolla, 2016, lien vers PDF). Le système pervers de la loi Galland a donc été volontairement cassé pour permettre à la concurrence de s’exercer.

Retour à la concurrence

Actuellement, les prix des produits alimentaires en France varient à un rythme comparable à celui des autres pays européens : d’après Eurostat, les prix des produits alimentaires en France ont augmenté de 2,8 % entre 2015 et fin 2017, contre une augmentation d’environ 3,22 % sur l’ensemble de la zone euro. Il ne s’agit donc pas ici de guerre des prix, mais bien d’un retour à la concurrence après des années de blocage, à la suite d’une mauvaise définition du SRP.
Les promotions de Nutella ou de couches qui ont récemment suscité un afflux très médiatisé de consommateurs ne sont pas non plus le reflet d’une guerre des prix. Un distributeur sans aucun concurrent sur un marché peut tout à fait faire ce type de promotion choc. Vendre des produits à très bas prix permet d’attirer des consommateurs qui, une fois dans le magasin, achètent d’autres produits sur lesquels les marges sont plus élevées.
Imposer une augmentation du SRP ne réglera pas la question du partage des profits entre les acteurs. Le déséquilibre est structurel, et il a continué à s’aggraver ces dernières années entre, en amont, un grand nombre d’agriculteurs peu organisés pour négocier, en aval, quelques groupes de distribution désormais regroupés en centrales d’achat très puissantes, les quatre premières se partageant 92,5 % des parts de marché en 2014, et entre les deux des acteurs industriels plus ou moins concentrés selon les secteurs. L’arrivée de nouveaux concurrents, comme Amazon ou Costco fait couler beaucoup d’encre, mais leur succès reste à ce stade hypothétique.

De même, le développement rapide de nouveaux formats de distribution, notamment le « drive », n’a pas permis aux acteurs en amont de trouver de nouveaux débouchés, car il a été développé par les distributeurs déjà présents sur le territoire : en particulier, ce développement n’a pas augmenté le nombre des centrales d’achat.

On entend beaucoup dire que la « guerre des prix » est responsable des difficultés des agriculteurs, mais un silence assourdissant entoure le rôle des trois supercentrales d’achat constituées en 2014. Pour améliorer la situation des producteurs, il nous semble d’abord crucial de renforcer la régulation des centrales d’achat.


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