Alstom-Siemens : pourquoi la Commission a raison de rejeter la fusion

12 Février 2019 Concurrence

Nous avons observé avec préoccupation les pressions politiques exercées sur la Commission européenne à l'occasion de la fusion entre Siemens et Alstom (https://www.lesechos.fr/industrie-services/tourisme-transport/0600535349044-fusion-siemens-alstom-les-deux-entreprises-de-plus-en-plus-pessimistes-2237177.php) et plus encore par les réactions politiques (https://investir.lesechos.fr/actions/actualites/alstom-siemens-le-maire-pour-de-nouvellesregles-de-concurrence-dans-l-ue-1820870.php) qui ont fait suite à la décision d'interdiction. En particulier, les annonces par les gouvernements français et allemands, d'initiatives visant à assouplir la politique de concurrence européenne afin de favoriser les fusions entre les grandes entreprises européennes sont extrêmement préoccupantes.
L'application de la politique de concurrence doit rester indépendante de toute ingérence politique fondée sur l'idée d'objectifs industriels européens et continuer à répondre aux considérations d'eicacité et de protection du processus
concurrentiel.

Absence de gains d'efficacité

L'argument selon lequel il suffirait que deux entreprises fusionnent et gagnent en taille pour devenir plus compétitives sur les marchés internationaux est fallacieux. Siemens et Alstom occupent déjà une place de premier rang sur les marchés internationaux, et par là même bénéficient d'importantes économies d'échelle et de gamme. Nous n'avons entendu dans le débat public aucune explication des raisons pour lesquelles leur union devrait donner lieu à des gains d'eicacité significatifs (et la Commission européenne a déclaré dans son communiqué de presse (http://europa.eu/rapid/press-release_IP-19-881_fr.htm) que les sociétés n'ont pas étayé de telles allégations d'efficacité).

En l'absence de gains d'eicacité résultant de la fusion, l'élimination de la concurrence entre Siemens et Alstom pourrait fort bien augmenter leurs bénéfices, mais cela rendrait la nouvelle entité moins compétitive sur les marchés internationaux et nuirait à ses clients, tels que les opérateurs ferroviaires et les gestionnaires d'infrastructures ferroviaires qui devraient probablement payer des prix plus élevés et profiter de moins d'innovation et de qualité, et finalement nuirait aux utilisateurs de ces réseaux. Sans surprise, leurs clients se sont fortement opposés à la transaction (les clients actuels et potentiels auraient été les premiers à soutenir une telle fusion si Siemens devait devenir plus compétitif après avoir pris le contrôle d'Alstom).

Pour plus de concurrence

Le droit de la concurrence n'empêche pas la formation de champions nationaux ou européens dès lors qu'une fusion génère des synergies et des complémentarités suisamment fortes entre les parties à la fusion. D'ailleurs, la Commission
européenne n'interdit que rarement des fusions, et ne le fait que lorsque les eets anticoncurrentiels prévisibles pour les acheteurs et les consommateurs sont élevés et qu'aucun gain d'eicacité n'est probable.
Les études empiriques mettent en évidence de façon de plus en plus convaincante une augmentation croissante du pouvoir de marché des entreprises et de la concentration des marchés, ce qui militerait plutôt pour une application plus stricte du droit de la concurrence, dans une logique qui ne réponde qu'à des critères impartiaux d'eicacité et non pas à de l'opportunisme politique. L'Europe a besoin d'entreprises plus eicaces, plus compétitives et plus innovantes.
Favoriser des fusions qui réduisent la concurrence ne ferait qu'accomplir le contrairee 

Ce texte est signé par un collectif d'économistes :

Massimo Motta (Université Pompeu Fabra, Barcelone), Martin Peitz (Université de Mannheim), Natalia Fabra (Université Carlos III de Madrid), Chiara Fumagalli (Université de Bocconi), Amelia Fletcher (Université d'East Anglia), Christine Zulehner (Université de Vienne), Thibaud Vergé (ENSAE, Paris), Thomas Rønde (Copenhagen business school), Giancarlo Spagnolo (Stockholm school of economics), Christos Genakos (Université de Cambridge), Frank Verboven (KU Leuven), Justus Haucap (Düsseldorf institute for competition economics), Tomaso Duso (DIW Berlin and Technical University Berlin), Giacinta Cestone (Université de Londre), Yannis Katsoulacos (Athens university of economics and business), Paul Seabright (Toulouse school of economics), Giacomo Calzolari (European university institute, Florence), Monika Schnitzer (Université de Munich), Volker Nocke (Université de Mannheim), Markus Reisinger (Frankfurt school of finance & management), Pedro Pita Barros (Université Nova de Lisboa), Juanjo Ganuza (Université Pompeu Fabra, Barcelone), Jacques Crémer (Toulouse school of economics), Yossi Spiegel (Université de Tel Aviv), Bruce Lyons (Centre for competition policy, Université d'East Anglia), Gerard Llobet (CEMFI, Madrid), Konrad Stahl (Université de Mannheim), Klaus Schmidt (Université de Munich), Jose L. Moraga (Vrije universiteit Amsterdam and Rijksuniversiteit Groningen), Maarten Pieter Schinkel (Université d'Amsterdam), Vincenzo Denicolò (Université de Bologne), Michele Polo (Université Bocconi, Milan), Philipp Schmidt-Dengler (Université de Vienne), Rune Stenbacka (Hanken school of economics and Helsinki GSE), Philippe Choné (Centre de recherche en économie et statistique, Paris), Nicolas Schutz (Université de Mannheim), Emanuele Tarantino (Université de Mannheim), Otto Toivanen (Université d'Aalto et Helsinki graduate school of economics), Kai-Uwe Kühn (Université d'East Anglia), Luis Cabral (Stern school of business, Université de New York), Eric van Damme (Université de Tilburg), Jan Bouckaert (Université d'Antwerp), Marc Ivaldi (Toulouse school of economics), Bruno Jullien (Toulouse school of economics), Sten Nyberg (Université de Stockholm), Emilio Calvano (Université de Bologne), Paul Heidhues (Düsseldorf institute for competition economics).

Article publié dans Les Echos 12/02/2019